Le vortex polaire : quand la stratosphère orchestre nos hivers.
- Détails
- Publication : samedi 25 octobre 2025 06:25
- Écrit par : Philippe Mievis
Introduction
On peut lire, à chaque arrivée de l'hiver, des articles sur le vortex polaire plus ou moins fantaisistes, c'est pourquoi nous vous proposons aujourd'hui une explication détaillée du phénomène afin d'en savoir plus sur ce vortex polaire qui arrive chaque année, à l'approche de l'hiver.
En effet, chaque hiver, au-dessus du pôle Nord, un gigantesque tourbillon d’air glacé se met en mouvement. Invisible mais redoutablement puissant, il influence les températures de la planète entière. Ce phénomène, appelé vortex polaire, est l’un des moteurs les plus fascinants — et parfois les plus déroutants — de notre climat.
Source : Schéma généré par ChatGPT
Un tourbillon stratosphérique géant
Le vortex polaire est une immense masse d’air froid située dans la stratosphère, entre 15 et 50 kilomètres d’altitude.
Quand la nuit polaire s’installe et que le Soleil disparaît durant plusieurs mois, la stratosphère au-dessus de l’Arctique se refroidit fortement. Ce refroidissement crée un fort contraste de température avec les latitudes plus basses.
Résultat : un courant-jet d’ouest en est se met en place et tourne autour du pôle, emprisonnant l’air glacé à l’intérieur.
On parle alors d’un vortex polaire fort : stable, rapide, et bien centré sur le pôle Nord.
Mais quand ce système s’affaiblit, tout peut basculer.
Source : NOAA
Fort ou faible : deux visages très différents
Quand le vortex est fort, l’air froid reste bien enfermé dans la région arctique. Les vents d’ouest dominent, et les moyennes latitudes — Europe, Amérique du Nord, Asie — profitent souvent d’un hiver relativement doux et stable.
Mais si le vortex devient faible, il perd sa cohérence.
Le courant-jet se déforme, se scinde, parfois même se déplace loin du pôle. L’air froid s’en échappe alors, plongeant vers le sud.
C’est ce qu’il s’est produit en février 2018, lorsque l’Europe a connu l’épisode glacial surnommé la Bête de l’Est. Le vortex polaire, perturbé, avait libéré une langue d’air arctique qui a recouvert tout le continent d’une vague de froid.

Exemple d'une situation de vortex polaire FORT (ici en fin janvier 1989) : il reste concentré près du pôle et le courant jet rectiligne est très puissant : l'hiver 1988-1989 aura été très doux sur l'Europe.
Photo : NOAA/Wetterzentrale

Exemple d'une situation de vortex polaire FAIBLE et éclaté (Split Event) (ici en début janvier 1985) : il reste concentré près du pôle et le courant jet est faible et ondulé, permettant à l'air froid d'atteindre nos régions : l'hiver 1984 - 1985 aura été un des plus froids des ces 50 dernières années.
Photo : NOAA/Wetterzentrale
Quand le vortex explose : le réchauffement stratosphérique soudain (SSW)
L’un des événements les plus spectaculaires de la stratosphère est le réchauffement stratosphérique soudain, ou SSW (Sudden Stratospheric Warming).
En quelques jours, la température de la stratosphère polaire peut grimper de plus de 50 °C, bouleversant complètement la circulation atmosphérique.
Ce réchauffement est provoqué par la montée d’ondes planétaires, appelées ondes de Rossby, générées par les reliefs et les contrastes thermiques de la troposphère.
Lorsqu’elles atteignent la stratosphère, elles freinent le courant-jet du vortex jusqu’à l’inverser. Le vortex se désagrège, parfois en plusieurs morceaux, et les masses d’air froid descendent vers nos latitudes.
Les conséquences sont souvent visibles deux à trois semaines plus tard : une chute brutale des températures sur l’Europe ou l’Amérique du Nord.
Le SSW de janvier 2021, par exemple, a été suivi d’un hiver rigoureux aux États-Unis et d’un refroidissement marqué sur l’Eurasie.

Source : génération d'image par ChatGPT
Split event et displaced event : deux visages du vortex polaire faible
Lorsque le vortex polaire stratosphérique s’affaiblit — souvent à la suite d’un réchauffement stratosphérique soudain (SSW) — sa structure peut se déformer de deux manières très différentes. Ces perturbations majeures de la circulation atmosphérique sont classées en deux catégories : les événements “displaced” et les événements “split”.
Bien qu’ils partagent une origine commune (l’influence des ondes planétaires troposphériques), leurs conséquences dynamiques et météorologiques diffèrent sensiblement.
1. Le displaced event : un vortex déplacé
Dans un displaced event, le vortex polaire reste globalement cohérent, mais son centre se déplace de sa position habituelle au-dessus du pôle Nord vers une autre région de l’hémisphère (souvent vers l’Europe ou la Sibérie).
Mécanisme
Une onde de Rossby de grande amplitude déforme la circulation stratosphérique.
Le vortex est repoussé par cette onde sans se fragmenter.
Le courant-jet stratosphérique devient asymétrique, mais le vortex garde une structure unique.
Conséquences atmosphériques
Les températures stratosphériques augmentent surtout sur le côté « chaud » de la déformation, où l’onde planétaire dépose son énergie.
À la surface, on observe souvent un déplacement des régimes de pression, avec un blocage anticyclonique vers le Groenland ou la Scandinavie.
Ce type d’événement conduit fréquemment à des flux d’est et des intrusions d’air froid sur l’Europe occidentale ou l’Asie.
Exemples marquants
L’hiver 2018 (Beast from the East) est typique d’un displaced SSW, le vortex s’étant décalé vers l’Eurasie avant de déclencher une descente d’air arctique.
2. Le split event : un vortex scindé
Un split event est une perturbation beaucoup plus intense, où le vortex se divise en deux (ou plusieurs) lobes distincts, chacun associé à une cellule de circulation froide.
Mécanisme
Généralement causé par la superposition de plusieurs ondes planétaires (souvent les ondes de nombre d’onde 2).
Ces ondes exercent des pressions opposées sur le vortex, provoquant sa rupture.
Les lobes résultants migrent souvent vers l’Amérique du Nord et l’Eurasie.
Conséquences atmosphériques
La circulation zonale est fortement perturbée : le jet stratosphérique s’inverse partiellement ou totalement.
Dans la troposphère, ce type d’événement peut engendrer une AO fortement négative, annonciatrice de vagues de froid majeures.
Les anomalies de pression se propagent jusqu’au sol, modifiant durablement les régimes météorologiques pendant plusieurs semaines.
Exemples marquants
L’hiver 2009–2010, marqué par des vagues de froid sur l’Europe et l’Amérique du Nord, est un split event classique.
L’hiver 2021 a également montré un vortex fortement fragmenté, à l’origine de perturbations importantes en Amérique du Nord principalement.
Des liens étroits avec les oscillations climatiques
Le comportement du vortex polaire influence directement certains grands régimes atmosphériques, notamment :
L’oscillation arctique (AO) : un vortex fort correspond à une AO positive (flux d’ouest dominants et temps doux), alors qu’un vortex faible donne une AO négative (échanges méridiens et froid polaire aux moyennes latitudes).
L’oscillation nord-atlantique (NAO) : en phase négative, elle favorise également les vagues de froid en Europe de l’Ouest.
Ainsi, suivre l’évolution du vortex polaire permet d’anticiper les tendances de nos hivers plusieurs semaines à l’avance — un outil précieux pour les prévisionnistes.
Quelques exemples concrets
Voici une sélection d’hivers européens récents marqués par un SSW préalable, souvent 2 à 3 semaines avant l’installation d’un froid durable en Europe de l’Ouest (liste non exhaustive).
Schéma temporel typique : SSW majeur → (5 à 20 jours) → Blocage troposphérique → Froid en Europe
Délai de réponse typique : 10 à 21 jours après le pic de réchauffement stratosphérique.
Durée d’impact : possibilté jusqu’à 4–6 semaines selon la propagation verticale et l’intensité du blocage.
| Année | Type d'événement | Délai (SSW → froid) | Impact en Europe |
| Janvier 2009 | Split | ~10 jours | Froid modéré à fort |
| Janvier 2010 | Split | ~2 semaines | Long hiver froid |
| Janvier 2013 | Displaced | ~10 jours | Froid continental |
| Février 2018 | Displaced | ~2 semaines | Vague de froid |
| Janvier 2021 | Split | ~2 semaines | Froid sur Europe / US |
Belle journée d'hiver : la présence conjuguée du soleil et de la neige donne toujours un spectacle magnifique, comme ici à Sautin, le 24 janvier 2021. En cet endroit, la couche de neige atteignait 15 cm.
Photo : Catherine Marique.
Le changement climatique change-t-il le vortex ?
C’est aujourd’hui l’une des grandes questions ouvertes de la climatologie.
Certains chercheurs, comme Judah Cohen (MIT), estiment que le réchauffement accéléré de l’Arctique et la perte de banquise modifient la dynamique du vortex polaire.
Selon cette hypothèse, l’« amplification arctique » perturberait la circulation atmosphérique, rendant le vortex plus instable — donc plus susceptible de se déformer et de provoquer des hivers extrêmes dans les régions tempérées.
Mais tous les modèles climatiques ne s’accordent pas.
D’autres études indiquent au contraire que le vortex pourrait se renforcer avec la montée globale des températures, du fait du réchauffement stratosphérique différentiel.
La science continue donc d’observer, de simuler et de débattre.
Conclusion : un phénomène clé pour mieux comprendre nos hivers
Le vortex polaire est bien plus qu’un simple tourbillon d’air glacial : c’est un acteur majeur du climat terrestre.
Ses oscillations, ses ruptures et ses réchauffements soudains influencent directement la météo de milliards d’humains.
Mieux le comprendre, c’est mieux prévoir nos hivers, mais aussi comprendre la mécanique du climat dans un monde en réchauffement rapide.
Sources
- Baldwin, M. P., & Dunkerton, T. J. (2001). Stratospheric Harbingers of Anomalous Weather Regimes. Science, 294(5542), 581–584.
- Charlton-Perez, A. J. et al. (2018). A Review of the 2018 Sudden Stratospheric Warming. BAMS.
- Cohen, J. et al. (2021). Divergent Consistency of Arctic Amplification and Mid-latitude Severe Winter Weather. Nature Climate Change.
- Waugh, D. W., & Polvani, L. M. (2010). Stratospheric Polar Vortices. In The Stratosphere: Dynamics, Transport, and Chemistry.
- Seviour, W. J. M. (2017). Weakening of the Stratospheric Polar Vortex by Arctic Amplification. Geophysical Research Letters.
- Wikipédia
- Wetterzentrale
- NOAA
- ChatGPT


