Climat d'antan : Novembre 1890, doux, très pluvieux, puis glacial.
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- Publication : samedi 15 novembre 2025 06:00
- Écrit par : Robert Vilmos
Préambule
Dans le cadre de notre rubrique « Le climat d'antan », nous allons réanalyser en détail des épisodes météorologiques anciens et remarquables, en essayant d'expliquer en détail les causes et conséquences de ces épisodes, à raison d'une analyse par mois.
Sixième volet de la série : novembre 1890, doux et très pluvieux, puis glacial.
À noter que toutes les valeurs (température, insolation) sont homogénéisées, et donc comparables aux observations d’aujourd’hui.
Introduction
Le mois de novembre 1890 est assez doux et assez venteux, et très pluvieux surtout sur le sud du pays. Les totaux pluviométriques atteignent 258 mm à la Baraque Michel, 191 mm au barrage de la Gileppe et encore 131 mm à Verviers. Principalement la période du 20 au 24 novembre connaît de très fortes précipitations, plus particulièrement sur le bassin de la Meuse, et les inondations sont nombreuses, catastrophiques dans certains cas.
Vers la fin du mois, on passe presque sans transition vers un temps glacial, avec dans un premier temps des vents de nord-est à est particulièrement turbulents. Des températures inédites, pour un mois de novembre, sont relevées en de nombreux points de Belgique, comme par exemple à Stavelot (–18°C), à Bastogne (–18°C), à Saint-Hubert (–17°C) ou encore à Uccle (–13°C). Pour cette dernière station, il s’agit de la température la plus basse observée en 139 ans.
Cependant, l’arrivée de l’hiver en 1890 est bien moins spectaculaire que celle de 1879, que nous analyserons prochainement. En 1879, des masses énormes de neige étaient tombées en de nombreux endroit, mais en 1890, la transition entre l’air doux et l’air froid se fait presque sans neige. Il n’y a que Liège et sa province qui sont vraiment blanches. On mesure 13 cm de neige à Jalhay, 12 cm à Dolhain, 7 cm à Theux et de 5 à 8 cm dans la région de Stavelot. À Uccle, on observe des traces de neige au sol les 26, 27 et 28 novembre, ensuite cette neige se sublime et le sol restera sans neige jusqu’au 17 décembre, malgré le froid et des températures qui, la nuit, descendent régulièrement en dessous de –10°C.
Déroulement du mois de novembre 1890
Avec une température moyenne de 7,1°C du 1 au 24 novembre, la majeure partie de ce mois peut être considérée comme assez douce, surtout pour l’époque. Mais le temps reste le plus souvent gris, humide et venteux, avec de la pluie presque chaque jour. Jusqu’au 19, il s’agit de précipitations fréquentes mais jamais abondantes, typiques d’un temps perturbé atlantique.
La première décade du mois, nous avons un anticyclone des Açores qui reste bien ancré sur les Açores, avec une circulation zonale ondulant quelque peu autour d’une légère crête sur l’Océan et un léger creux sur le Continent. Au nord circulent des dépressions qui tendent à descendre à des latitudes un peu plus basses que d’habitude, dans un premier temps sur l’Europe, puis de façon générale, donc sur l’Europe mais aussi sur l’Océan. Il en résulte chez nous un flux en moyenne orienté à l’ouest-nord-ouest. Cet air est très océanique et doux, mais sans excès, avec des maxima en plaine de l’ordre de 10°C, relevés aux heures les plus diverses de la journée au gré du passage des secteurs chauds. Dans l’air post-frontal (traîne), les températures se situent autour de 5°C la nuit et de 7 à 8°C le jour.
Du 10 au 12 novembre, la circulation zonale devient plus molle sur nos régions – avec des températures un brin plus basses et des pluies plus faibles, voire parfois des éclaircies – avant de reprendre de plus belle, de sud-ouest cette fois-ci (l’anticyclone des Açores se développant davantage vers l’Europe), avec comme conséquence une hausse supplémentaire des températures, mais la persistance des pluies. Du 15 au 23 novembre, les températures maximales se situent constamment entre 10 et 13°C à Bruxelles. À Paris, il fait plus doux encore avec des maxima montant à plusieurs reprises jusqu’à 15°C.
Alfred Sisley – Les moulins de Moret (1890)
Le 20 novembre, malgré une poussée anticyclonique, les pluies restent bien présentes et s’intensifient le 21 sous l’impulsion d’un front froid. Il s’agit là d’un front froid masqué, qui n’a que peu d’incidence sur la température. Par la suite, le 22, notre pays est soumis à une intense circulation d’ouest qui donne beaucoup de précipitations convectives, notamment sur les contreforts du massif ardennais. Le 23, cette circulation bascule à l’ouest-nord-ouest en continuant à nous arroser copieusement. Tout est en place pour de grosses inondations. Et dès le 23 novembre, on nous communique depuis Liège : « La Meuse subit une crue énorme. Tous nos ports sont inondés. On baisse les barrages. » (Gazette de Charleroi).
Source : Met Office
Les inondations du 23 au 26 novembre 1890
Le 23 novembre est une journée douce par excellence, malgré la circulation d’ouest-nord-ouest. Le côté très maritime de l’air compense largement son côté quelque peu septentrional. Toute la journée, de 9 à 21 heures, le thermomètre d’Uccle reste accroché à 12°C, n’oscillant que de quelques dixièmes de degrés. Malgré cela, le temps qu’il fait est considéré comme particulièrement mauvais. On nous écrit de Tournai : « La journée de dimanche [23 novembre] a été sans contredit la plus désagréable de toute l’année. Un vent impétueux et la pluie dont la persistance devient un sujet d’appréhension pour tous ceux qui sont menacés par les inondations n’ont cessé de faire rage toute la journée. Dans la soirée, l’ouragan ayant encore augmenté en intensité, la circulation est devenue extrêmement pénible dans les artères balayées par la rafale. » (Le Courrier de l’Escaut).
À Anvers, on parle même d’une « tempête épouvantable » et à la mer, de « vagues monstrueuses ». Pendant ce temps, la Meuse sort de son lit et l’on signale aussi des débordements de la Senne en aval de Bruxelles.
Le 24 novembre à trois heures et demie du matin, les Bruxellois sont secoués par des rafales particulièrement fortes. Les cartes météorologiques laissent deviner le passage d’un front froid, éventuellement empreint d’une ondulation liée à une petite dépression sur les Pays-Bas.
Source : Met Office
À Anvers, le vent est tel que « le bruit des vagues dans l’Escaut ressemble au grondement du tonnerre. Ajoutez le fracas des vitres brisées, le bruit des tuiles, des débris de cheminées tombant sur le pavé et vous avez une idée de cette nuit épouvantable. » (L’indépendance Belge)
La température nocturne, qui était de 13-14°C à Bruxelles avant le passage du front, perd quelques degrés, mais on est loin encore d’un froid véritable puisque le thermomètre affiche quelques 7°C en matinée. Le temps, par contre, est fort instable. Une ligne orageuse virulente traverse le pays en fin de matinée. À Verviers, « la pluie tombe sans discontinuer et le vent ne cesse de faire rage. À 11h45, au milieu d’une averse de pluie et de grêle qui a rendu les rues désertes, un éclair fulgurant entr’ouvre le ciel et un formidable coup de tonnerre ébranle la ville ». (La Meuse)
Ce tonnerre est également entendu ailleurs dans le pays. Pendant ce temps, les inondations deviennent catastrophiques dans le pays de Liège. Angleur, Chênée, Chaudfontaine et Vaux-sur-Chèvremont sont fortement inondés. Plus à l’est, à la frontière allemande (de l’époque), la voie ferrée de Herbesthal se trouve sous 50 centimètres d’eau sur une distance d’un kilomètre.
Mais le plus catastrophique se produit dans la vallée de l’Ourthe. « Pendant les journées de dimanche [23] et lundi [24 novembre], la rivière a monté avec une rapidité telle que beaucoup de riverains ont été pris au dépourvu. » Ce sera surtout le 25 qu’on verra l’étendue du désastre.
De l’autre côté du pays, à Anvers, la marée est bien plus élevée que d’habitude : la marée de tempête a ses effets dans l’Escaut jusqu’au-delà d’Anvers, puisqu’à Kontich, Duffel et Walem, « les champs sont couverts d’eau et bien des métairies sont entourées d’une immense nappe d’eau. C’est au moyen de pontons improvisés que les habitants de ces petites fermes peuvent gagner leur logis. » (L’Indépendance Belge)
Le Rupel et la Dyle, quant à eux, sont en crue et débordent en de nombreux endroits.
Après le passage de la ligne orageuse, les températures baissent encore un peu, et viennent se situer entre 5 et 6°C durant l’après-midi en Basse et Moyenne Belgique, sous un vent hargneux de nord-ouest.
Le 25 novembre, le froid n’est pas encore extrême, mais bien désagréable avec des températures, à Bruxelles, oscillant toute la journée autour des 2 à 3°C sous un vent fort de nord-est, qui a entre-temps remplacé le vent de nord-ouest qui soufflait encore la nuit.
Source : Met Office
Sur le plan des inondations, la situation s’aggrave encore. À Liège, tous les quais le long de la Meuse sont submergés, mais la ville, par chance, est en grande partie épargnée. Il en va tout autrement en aval de Liège. « Le spectacle est terrible et grandiose », lit-on dans le journal La Nation. « Comme la vallée est très large, elle présente l’image d’un lac immense ; çà et là émergent le clocher d’une église, une habitation élevée ou le sommet d’un arbre. »
Dans les vallées d l’Ourthe et de la Vesdre, la situation n’est guère meilleure. Chênée et Vaux-sous-Chèvremont restent sous eau. À Grivegnée et Angleur, il faut même ravitailler les gens en barque.
Des inondations sont également signalées du côté de Malines. Depuis le train Bruxelles-Anvers, on peut voir les prairies recouvertes d’eau sur presque toute la longueur du trajet.
Le soir, c’est au tour du gel de s’inviter chez nous. À Bruxelles, le thermomètre passe sous la barre de zéro degré dès 20 heures. Quelques flocons de neige tombent sur Bruxelles, mais la couche au sol reste très mince.
Le grand froid de la fin du mois
Le 26 novembre 1890. La situation semi-dépressionnaire et semi-maritime de la veille a encore tempéré le froid, mais la descente des basses pressions vers la Méditerranée a ouvert la porte à des courants glacials commandés par un anticyclone sur la Scandinavie.
Source : Met Office
Dès la nuit du 25 au 26, les températures ont fortement baissé. Le matin au lever du soleil, on observe –5°C tant à Bruxelles qu’à Liège. Le vent d’est-nord-est se montre turbulent et les températures, en journée, n’augmentent guère, pas plus de –4°C l’après-midi à Bruxelles. Pour le ressenti, le froid est insupportable. « Non ! Vous ne sauriez-vous faire une idée du froid qu’il faisait ce matin, dans le wagon allemand, dépourvu de chaufferettes, qui nous conduisait de Bruxelles à Liège. Je vous assure que de ma vie, je n’ai jamais tant grelotté. Je ne sais combien de degrés au-dessous de zéro marquait le thermomètre, mais, à coup sûr, ce devait être une température peu ordinaire dans notre pays. Brr… j’en frissonne encore ! » (Le correspondant spécial du journal La Nation)
À Bruxelles, la neige fait toujours défaut. Juste un peu de saupoudrage ici et là. Liège par contre a bien blanchi. « Depuis Tirlemont, la voie était blanche de neige, et toute la journée, sur toute la contrée, la neige est tombée à gros flocons, couvrant d’un épais tapis de ouate la fragile feuille de glace que la gelée avait étalée sur les prairies inondées. » (La Nation). Oui, grâce au « vent violent et brûlant de froid », les eaux ont baissé partout, mais la glace commence à se former là où les eaux n’ont pas encore eu le temps de se retirer.
L’après-midi, on note encore quelques étoiles de neige à Bruxelles, sous un ciel couvert, et en dehors de la province de Liège, aucune neige digne de ce nom n’est observée dans notre pays. En soirée, les températures baissent encore, avec des valeurs de –6 à –8°C tant à Bruxelles qu’à Liège.
Le 27 novembre 1890, le vent se calme un peu, mais les températures descendent vraiment très bas. À Liège, au-dessus d’un sol couvert de neige, la température minimale dégringole le matin jusqu’à –14°C à Cointe. À Arlon, il fait plus froid encore avec –16°C. Mais Bruxelles n’est pas en reste non plus. Malgré une couverture neigeuse très partielle, la température descend jusqu’à –13°C (–12,6°C pour être précis), la température la plus froide, en novembre, de toute la série (de 1886 à maintenant). À l’ancien Observatoire de Bruxelles (encore opérationnel en 1890), la température descend aussi jusqu’à –11,0°C, ce qui est, là aussi, la température la plus basse de toute la série (1833-1890). On peut en déduire que pour Bruxelles, la nuit du 26 au 27 novembre 1890 a été la plus froide, en novembre, depuis le début des observations, c’est-à-dire de 1833 à maintenant.
En journée, le froid reste hors normes pour la saison. Sous un vent qui reste accroché au secteur est-nord-est et sous un ciel partiellement nuageux, la température à Uccle ne dépasse pas –8,6°C au meilleur moment de la journée, maximum atteint en fin de matinée. Pendant tout l’après-midi, le thermomètre reste calé à –11°C ! Du jamais vu si tôt dans la saison. Des années plus tard, pendant le très froid novembre 1921, la température maximale la plus basse ne sera jamais que de –4,1°C (28 novembre), pour un minimum de –10,7°C (29 novembre).
L’après-midi à Liège, en ce 27 novembre 1890, il fait à peine moins froid qu’à Bruxelles, avec une température oscillant entre –8 et –9°C.
Le temps très froid et beaucoup plus sec permet le lent retrait des eaux fluviales. Mais les étendues glacées se font de plus en plus nombreuses sur les terres restées inondées. Des patineurs s’adonnent à présent aux plaisirs de la glace sur les patinoires improvisées des vallées de l’Ourthe et de la Vesdre.
Le 28 novembre 1890, l’anticyclone responsable du froid reste camper sur la Scandinavie, mais le desserrement des isobares sur nos régions a pour conséquence une nette diminution du vent. Le froid, à présent, se met à stagner sur la Belgique.
Source : Met Office
Les températures au lever du soleil demeurent fort basses : –12°C à Liège, –10°C à Bruxelles et encore –8°C à Furnes. En journée, les températures remontent jusqu’à –6°C à Bruxelles tout comme à Liège, ce qui reste très froid pour un mois de novembre. Et le ciel continue à se partager entre nuages et éclaircies, avec quelques chutes de neige peu significatives.
Mais la glace des terres inondées se consolide. « Les eaux courantes sont partout rentrées dans leur lit, mais l’eau des plaines, surprise par cette gelée intense, est restée partout emprisonnée, formant d’immenses champs de glace. La plaine des manœuvres notamment présente un champ superbe aux patineurs ; il en est de même des campagnes d’Angleur et de Fétinnes » (L’Indépendance Belge)
Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Dans les maisons, « les dégâts sont considérables. Tous les rez-de-chaussée sont dans un affreux état ; les meubles endommagés, les provisions avariées » (L’Indépendance Belge). De même, les terres ensemencées sont perdues et les routes, qui étaient bloquées par l’eau, le sont à présent par la glace.
Le soir, les températures baissent à nouveau fortement. En milieu de soirée, il fait –8°C à Liège et –9°C à Bruxelles. Mais par la suite, les températures remontent un peu, si bien que les –10°C ne sont plus atteints, la nuit, à Liège, et encore tout juste à Bruxelles.
Le 29 novembre 1890 est une journée très grise. Malgré cela, il ne neige toujours pas. À Bruxelles en matinée, on observe un peu de neige en grains. Mais le peu de neige qu’il y avait au sol a entre-temps disparu. La situation atmosphérique dans son ensemble ne bouge presque pas, avec un anticyclone ancré sur la Scandinavie. Au-dessus de nos régions, les isobares restent assez relâchés et le vent de nord-est est donc plutôt faible. Mais la journée demeure froide, avec à Bruxelles des températures qui ne dépassent pas –6 à –7°C l’après-midi. La nuit d’après cependant, il fait un peu moins froid avec –5°C.
En raison de ces gelées persistantes, le champ de patinage de Châtelet n’a jamais été aussi grand. « Les eaux en pleine inondation en ont fait un miroir immense ; ce n’est plus une glace, c’est une mer polaire ! » (Gazette de Charleroi)
Mais pour le reste, ce froid intense, ayant immédiatement fait suite à des pluies diluviennes, est une véritable catastrophe. Les dégâts sont nombreux dans tous les secteurs de la vie quotidienne. L’agriculture, bien sûr, a beaucoup souffert aussi. « Beaucoup de cultivateurs, surpris par les gelées prématurées, n’ont pas eu le temps d’opérer l’arrachage des légumes de jardin : choux, poireaux, céleris, carottes, et de les mettre en "tombes". C’est aussi une désolation pour la ménagère. »
Il y a également la récolte des betteraves : les pluies ont d’abord détrempé celles-ci et retardé le travail, puis le gel subit, encore imprévisible à l’époque, a pris tous les agriculteurs à revers. « Les gelées de la semaine dernière ont eu de bien fâcheuses conséquences pour les fermiers et cultivateurs de la Hesbaye. Grand nombre d’entre eux n’avaient pas terminé le transport de leurs betteraves aux râperies et celles qui restaient sur les champs ont grandement souffert. À une récolte au-dessous de la moyenne, à un rendement qui laissait à désirer, est venue s’ajouter la moins-value du produit, due à une rigueur inusitée de la température. » (La Meuse)
Émile Claus – La récolte des betteraves (1890)
Le 30 novembre 1890, à Liège : « Hier dimanche [30 novembre], on patinait partout où il y avait de la bonne glace. Foule dans tous les champs des rives de la Meuse, recouverts par les eaux d’inondation que la gelée a prises avant qu’elles aient eu le temps de se retirer. Si le froid continue, voilà un sport qui aura du succès cette année. » (La Meuse)
Ben oui, le clivage demeure entre ceux qui souffrent et ceux qui bénéficient de ces conditions climatiques sévères. Il faut dire que du côté de Liège, c’est une magnifique journée à allure hivernale puisque là, il y a de la neige au sol. Le vent, lui, s’est complètement calmé et les nuages se sont déchirés, l’après-midi, pour laisser apparaître un beau petit soleil de dernier jour d’automne.
La fin novembre 1890 en général est marquée par une arrivée certes progressive du froid, mais impressionnante malgré tout. En quatre jours, la température perd quelques 23 à 24°C ! À Uccle par exemple, la température (homogénéisée) est de 11,6°C le 23 à 8 h, puis de –12,2°C le 27 à 8 h. De même, la température reste à 11,6°C le 23 à 15 h, mais se situe à –11,2°C le 27 à 15 h.
Le froid de novembre 1890 est dans un premier temps un froid d’advection, c’est-à-dire une masse d’air arctique qui est advectée par un vent de nord-est à est assez fort et turbulent. L’état du ciel, serein ou couvert, ainsi que la présence ou l’absence de neige n’ont que peu d’importance dans le déroulement des températures. C’est ainsi que le matin du 27 novembre, la température de Liège, au-dessus d’un sol enneigé, est à peine plus basse que la température de Bruxelles, au-dessus d’un sol (presque) sans neige.
Par après, le vent se calme, le froid se met à stagner sur nos contrées et le froid radiatif vient se surimposer au froid d’advection. Quelques éclaircies nocturnes au-dessus d’un sol enneigé en province de Liège (et parfois en province du Luxembourg) mènent à des températures excessivement basses pour un mois de novembre. Quelques valeurs des derniers jours de novembre : Stavelot, Bastogne, Verviers et la Baraque Michel : –18°C ; Barrage de la Gileppe, Ville-du-Bois et Saint-Hubert : –17°C.
Ailleurs dans le pays, les minima absolus sont souvent compris entre –10 et –14°C. Seules quelques localités à l’ouest du pays n’ont pas vu leur thermomètre atteindre les –10°C.
L’enneigement, quant à lui, s’est plus ou moins limité à la province de Liège (et parfois celle du Luxembourg) et n’a nulle part dépassé les 15 cm.
Petit descriptif de l’hiver 1890-1891 qui suit
L’hiver 1890-1891 vu par Émile Claus : « Les oiseaux de glace » (peint en 1891)
Le mois de décembre, qui suit, est avec une moyenne de –4,6°C le deuxième le plus froid de toute la série homogénéisée de Bruxelles – Uccle, qui s’étend de 1833 à maintenant. Si l’on prend les périodes hivernales de 30 jours les plus froides, la période du 13 décembre 1890 au 11 janvier 1891, avec –5,3°C, n’arrive toutefois qu’en dixième position, derrière des périodes hivernales bien plus récentes comme 1956 (–6,1°C du 31 janvier au 29 février) ou 1963 (–5,4°C du 8 janvier au 6 février).
Si l’on considère la moyenne de l’ensemble des trois mois d’hiver (décembre, janvier et février), l’hiver 1890-1891 se classe à nouveau très bien, avec une fière deuxième place ex-aequo avec 1844-1845 (–1,4°C) et derrière 1962-1963 (–2,0°C).
Quoiqu’il en soit, l’hiver 1890-1891 est bien moins spectaculaire que d’autres hivers légendaires, notamment en raison du manque de neige. Si l’arrivée du froid en novembre, avec le gel brutal et rapide des terres inondées, est bel et bien spectaculaire, l’hiver proprement dit est bien plus régulier et présente même un côté monotone.
À Bruxelles, le peu de neige tombée en novembre s’est sublimée avant la fin du mois, et le sol reste totalement dépourvu de neige les 17 premiers jours de décembre, et ce en dépit d’un froid quasi permanent et parfois intense. Voici ce qu’en écrit le journal Le Soir :
« Le gel continue ; on peut dire que cette période de froid persistant est unique dans la mémoire des plus vieux Bruxellois. Certes, on a souvenance d’hivers rudes, terribles, mais jamais d’une suite aussi longue de jours pareils les uns aux autres : pas de neige, pas de pluie, du gel encore et toujours, à des températures variant le jour de 7 à 10° et descendant, la nuit, jusqu’au chiffre de 14° [en-dessous de zéro].
« On appellera certes l’hiver de 1890-1891 : l’hiver des patineurs !
« Hier, beaucoup de gens ont cru que c’était… la clôture de la saison du patinage : la neige était dans l’air, disaient les météorologues de boulevard, et puis, il y avait le changement de quartier de lune.
« Ce matin pourtant, le ciel était dans l’état où nous l’avions laissé la veille.
« Et cela n’a pas l’air de vouloir finir.
« Si cela continue, on pourra faire le carnaval sur la glace. »
En effet, de la neige a été dans l’air, très peu, quelques flocons, juste de quoi laisser quelques traces au sol le 18. Ensuite, il faudra attendre le jour de Noël pour avoir deux petits centimètres.
On retiendra donc de ce mois de décembre un froid régulier, une extraordinaire constance des vents d’est à nord-est et une période particulièrement ensoleillée du 7 au 17 (avec notamment de très belles lueurs crépusculaires).
Julius Klever – Coucher de soleil en hiver sur le marais (1890)
Un seul jour, les températures sont vraiment extrêmes, en l’occurrence le 30 décembre où la température maximale ne dépasse pas –12°C à Uccle. Notons enfin que le froid n’est pour ainsi dire jamais interrompu : le maximum du jour le plus doux à Uccle n’est que de 2°C.µ
En janvier 1891, malgré des chutes de neige plus fréquentes, l’épaisseur de la couche au sol reste maigre. La plus grosse partie du mois, la couche ne dépasse pas 1 cm à Uccle (parfois seulement des traces). Il n’y a que la période du 15 au 24 qui est plus neigeuse, mais sans rien présenter d’exceptionnel. Le 20, la couche atteint 10 cm.
La Haute Belgique présente une image plus hivernale avec, en date du 18, une couche de 30 cm à Vielsalm et de 38 cm à Verviers. C’est de ce côté-là aussi qu’on rencontre des températures plutôt basses, avec –21°C à Ville-du-Bois (Vielsalm) et –20°C à Verviers. Au Barrage de la Gileppe, on atteint –25°C. Aucun record de froid n’est cependant battu en Belgique.
On retiendra à nouveau des inondations en raison d’un dégel rapide, en fin de mois, des suites d’une tempête d’origine océanique.
En février, le seul jour d’enneigement, à Uccle, est le 15 avec des traces de neige au sol. Dès le début du mois, le temps est caractérisé par une advection d’air en moyenne assez doux en altitude. Mais la combinaison d’un sol encore froid et d’un anticyclone puissant mais mal placé, à l’ouest de nos régions, fait en sorte que dans les basses couches, il continue à faire assez froid sous des brouillards persistants. La fin du mois est printanière, avec du soleil et des hautes pressions cette fois-ci à l’est de nos régions. Le maximum absolu du mois frise même les 15°C au centre du pays. Mais cela ne suffit pas pour faire remonter la moyenne de cet hiver très froid, auquel il manque cependant le charme des grands hivers.
Conclusion
Un grand hiver, aux yeux d’un hivernophile, est un hiver où il fait froid, bien sûr, mais où il y a aussi de la neige et des plaisirs d’hiver en général. Dans les années relativement récentes, les hivers 1978-79 et 1984-85 répondaient parfaitement à ces critères. Les hivers plus modestes de 2009-10 et 2010-11 y répondaient aussi, grâce aux chutes de neige fréquentes et parfois très abondantes. Mais d’autres hivers, pourtant très froids, n’y répondaient que peu, voire pas du tout.
Les 30 jours les plus froids de l’hiver 1996-97, avec une moyenne de –3,2°C (du 14 décembre 1996 au 12 janvier 1997) est à peine froide que les 30 jours les plus froids de l’hiver 1984-85, avec une moyenne de –3,5°C (du 29 décembre 1984 au 27 janvier 1985). Pourtant l’hiver 1996-97 est bien moins spectaculaire que celui de 1984-85. La neige manque à l’appel. Les 15 premiers jours de la période, il n’y en a pas du tout à Uccle, ensuite la couche ne dépasse jamais les 2 ou 3 cm. L’ouest du pays est plus dépourvu de neige encore, tandis qu’à l’est, la situation est à peine meilleure. Seules les Hautes-Fagnes bénéficient d’un enneigement digne de ce nom, bien que trop maigre pour la région.
Le très froid février 1986 (moyenne 30 jours de –3,3°C, du 2 février au 3 mars 1986) est très pauvre en neige aussi. À Uccle, à l’exception de la période du 8 au 11 février, où l’on mesure 1 à 2 cm de neige, il n’y a qu’une très mince couche de neige au sol, le plus souvent incomplète. Et ce qui est vrai pour Uccle l’est aussi pour une grosse moitié nord du pays. En Haute Belgique par contre, tout comme le long de la frontière française, l’enneigement est bien meilleur.
Janvier 1987, avec un vent à décorner les bœufs et un froid record au niveau du ressenti, ne livre guère plus de neige. À Uccle, on observe une couche neigeuse intermittente, souvent incomplète, avec 1 cm d’épaisseur au maximum. Anvers et Charleroi sont logés à la même enseigne pendant que l’ouest du pays connaît moins de neige encore, malgré le froid (températures parfois inférieures à –10°C) qui frappe même le littoral. Au nord-est et à l’est du pays, la neige est plus abondante, et même bien épaisse sur le plateau fagnard.
Comme on peut le voir, le grand froid n’est pas toujours synonyme de neige.
Mince couche de neige en Forêt de Soigne en janvier 1987. Crédit photo : Robert Vilmos
Plus loin dans le passé, le très froid décembre 1933 n’a offert que très peu de neige. Et d’après les témoignages, même le terrible décembre 1788, peut-être le plus froid sur 300 ans, n’a été, lui aussi, que peu neigeux. L’Abbé Mann écrit : « C’est le vent de nord-est qui a été dominant : le ciel a été quelquefois serein, mais souvent couvert ; et il est tombé de la neige dix ou douze fois, mais jamais en grande quantité ».
Même s’il est vrai que la neige a plus de chances de tomber pendant un hiver froid que pendant un hiver doux, un hiver froid est loin d’être d’office neigeux, et même des hivers glacials peuvent décevoir plus d’un hivernophile.
Sources
- Annales de l’Observatoire Royal, 1890
- Annuaire de l’Observatoire Royal, « Le climat de la Belgique en 1890 », A. Lancaster, 1891
- Annales du Bureau central météorologique de France, 1890
- Ciel et Terre, « Revues climatologiques mensuelles », A. Lancaster, novembre et décembre 1890
- Ciel et Terre, « L’hiver de 1890-91 », A. Lancaster
- Met Office, « Daily Weather Reports », 1890
- KBR BelgicaPress, « BelgicaPress »
- Région de Bruxelles-Capitale, « Inventaire du patrimoine mobilier »


